Le prêt de 5 milliards d’euros risque d’être insuffisant pour le sortir d’une situation qui était déjà critique avant la crise liée au coronavirus.
Chronique. Il y a soixante-quinze ans, conformément aux préconisations du Conseil national de la Résistance (CNR), une ordonnance prononçait la dissolution de la Société anonyme des usines Renault pour la transformer en régie. Cette nationalisation avait pour but de sanctionner son actionnaire unique, Louis Renault, accusé d’avoir collaboré pendant la guerre avec l’Allemagne. Comme Charles de Gaulle l’écrit dans ses Mémoires, l’idée était de « placer sous la coupe de l’Etat “l’usine pilote” par excellence ».
Renault a mis des décennies pour redevenir une entreprise presque comme les autres. La privatisation en 1996, puis l’alliance nouée avec Nissan en 1999, avaient pu faire croire que la longue parenthèse ouverte par le Général de Gaulle se refermait, même si, encore récemment, les 15 % du capital conservés par l’Etat ont contribué à entretenir une ambiguïté sur le rôle des pouvoirs publics.
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La crise liée à la pandémie de Covid-19 pourrait faire repartir le balancier de l’histoire en sens inverse. Renault renationalisé ? On n’en est pas encore là, même si la référence au CNR et à de Gaulle est très en vogue à l’Elysée. Toutefois, le constructeur se trouve dans une situation telle qu’on imagine mal son futur sans une intervention exceptionnelle de l’Etat, allant bien au-delà des 5 milliards d’euros de prêt garanti qui sont sur le point d’être débloqués.
Des erreurs qui vont se payer comptant
Tous les indicateurs étaient déjà au rouge avant la pandémie. Les dernières années de la présidence de Carlos Ghosn ont été marquées par son manque de vigilance sur la gestion du groupe et la nomination d’une direction générale déficiente. Avant d’être évincée, celle-ci a multiplié les erreurs, qui vont se payer comptant dans les mois à venir.
Dès février, pressé de s’expliquer sur la façon dont il comptait se redresser, le constructeur avait promis pour mai un plan de 2 milliards d’euros d’économies. A quelques jours de l’échéance, les spéculations vont bon train pour savoir où tailler dans le vif et comment ces décisions seront financées. Surtout, le niveau de l’effort, fixé avant la pandémie, pourrait se révéler insuffisant. Depuis cette annonce, le marché automobile s’est effondré et tout indique que le rebond sera poussif. L’allemand Volkswagen (VW), qui avait fait repartir ses chaînes de production dès la fin avril, vient de décider de les interrompre de nouveau, faute de clients.
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Si tous les constructeurs se trouvent face à une équation compliquée, pour Renault le défi est titanesque. Sur le plan du bilan comptable, d’abord. La participation du constructeur français dans son partenaire Nissan est inscrite dans ses comptes pour 21 milliards d’euros, alors que ces 43 % ne valent plus que 5,5 milliards. Le réajustement s’annonce douloureux. La valorisation en Bourse de la firme au losange est désormais inférieure au montant du prêt garanti par le gouvernement. Après avoir brûlé plus de 5 milliards d’euros de cash au premier trimestre, la situation risque de se tendre un peu plus au deuxième. Les investisseurs institutionnels se détournant, l’Etat devient la seule bouée de sauvetage crédible.
Une gamme atrophiée
Côté recettes, les perspectives sont tout aussi sombres. Comme nous l’annoncions dès le 26 novembre 2019, la gamme va brutalement s’atrophier avec le non-renouvellement de Twingo, Mégane, Koleos, Scenic, Talisman et Espace. Un nouveau SUV électrique va soulager l’usine de Douai, mais pas avant 2022. Après avoir perdu l’assemblage de la Clio, Flins et ses 4 000 salariés risquent de se retrouver sans aucune production à cette date, avec la fin de vie de la Zoe, qui n’a pas de remplaçante, et l’arrêt programmé de la Micra sur ce site.
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Dans la tourmente, on aurait pu imaginer que le salut vienne de l’alliance avec le japonais. Mais on a de plus en plus l’impression d’assister à la dérive des continents, avec deux entreprises contraintes de se focaliser sur leurs propres difficultés, plutôt que de s’épauler. Nissan souhaite se concentrer sur le Japon, la Chine et les Etats-Unis, trois marchés où Renault est absent. Le groupe japonais est également en train de faire une croix sur le diesel, dont le fournisseur exclusif était la firme au losange, fragilisant ainsi le site de Cléon.
L’usine sud-coréenne de Renault n’est plus viable depuis que Nissan a délocalisé les quelques modèles qui y étaient fabriqués. Quant à la plate-forme commune de la Mégane, elle ne sera pas renouvelée. Des annonces sur une relance de l’Alliance sont prévues les 27 et 28 mai, mais beaucoup en interne s’interrogent sur leur portée.
Décisions douloureuses
Difficulté supplémentaire pour Renault, son nouveau directeur général, Luca de Meo, arrive bien tard dans la tempête. Son ex-employeur, VW, lui ayant imposé une clause de non-concurrence, il a dû repousser sa prise de fonctions à cet été. Le groupe se retrouve donc obligé de réduire la voilure sans que le nouveau capitaine ait pu fixer le cap.
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Pour complexifier le tout, le losange se retrouve sous la surveillance d’un Etat qui envisage de conditionner son aide à une relocalisation de la production en France. L’exigence risque de virer au casse-tête. Les voitures fabriquées en Amérique du Sud sont exclusivement vendues sur place. Cela n’aurait aucun sens économique de leur faire traverser l’Atlantique. La gamme Dacia, assemblée en Roumanie ou au Maroc, conçue sur un modèle low cost, perdrait leur compétitivité une fois rapatriée dans l’Hexagone. La Twingo, produite en Slovénie, va s’arrêter. Reste la Clio, fabriquée en Turquie, mais l’écart de coût, supérieur à 10 %, obligerait Renault à la vendre à perte si ce modèle regagnait les usines françaises.
L’Etat risque de ne pas avoir le choix : accompagner des décisions douloureuses en recapitalisant l’entreprise. En 1947, trois ans après le décès du fondateur dans sa cellule à Fresnes (Val-de-Marne), le général de Gaulle avait déclaré : « Il n’y a aucune raison que Renault reste perpétuellement nationalisé du moment que Louis Renault est mort » (Charles de Gaulle, Eric Roussel, Gallimard, 2002). La crise actuelle pourrait relancer le débat.